Plantations VS Conservation
Cohabitation entre plantation forestière et régénération naturelle : Opportunités et risques pour la diversité génétique locale.
Introduction
1. Effectivité de l’hybridation
2. Impact de l’hybridation sur la diversité génétique
3. Conséquences adaptatives et évolutives de l’hybridation
En Résumé
Pour en savoir plus
Introduction
Plantation et régénération naturelle sont deux modalités de renouvellement des peuplements forestiers qui cohabitent plus ou moins étroitement sur le territoire, parfois au sein d’une même forêt. Parmi les multiples formes d’interactions possibles entre les peuplements résultant de ces deux modalités, il y a les interactions génétiques. Une question récurrente est celle des effets possibles des plantations sur la diversité génétique des peuplements locaux. D’autres questions se posent également comme l’impact sur l’écosystème, non abordées ici.
La diversité génétique qui existe entre arbres d’une même forêt, et qui se transmet lors de la reproduction, détermine la dynamique et le fonctionnement global de cette forêt. C’est aussi un facteur de résilience du peuplement face aux aléas : par exemple, certains arbres peuvent être plus tolérants aux événements de sécheresse et d’autres plus tolérants aux gels tardifs. A plus long terme, la diversité génétique est l’un des facteurs déterminant le potentiel d’évolution de la forêt sur le long terme et, de ce point de vue, une partie de la diversité génétique aujourd’hui sans valeur adaptative particulière, peut se révéler d’un intérêt adaptatif majeur dans le futur. Par ailleurs, la diversité génétique n’est pas figée dans le temps, elle est en constante évolution. Ainsi, la notion de ressources génétiques forestières intègre les différentes formes de diversité génétique, que leur valeur adaptative soit aujourd’hui connue ou non, dans une dimension dynamique et évolutive.
Au sein de chaque espèce, la diversité génétique est distribuée différemment entre les populations : certaines populations ont des adaptations génétiques particulières, certaines populations ont une plus grande diversité génétique que d’autres. Au sein de chaque forêt, tous les arbres sont génétiquement différents (mise à part la propagation clonale chez certaines espèces) : cette diversité intra-peuplement peut refléter la multiplicité des formes d’adaptation aux conditions locales, elle résulte aussi du fait que les divers processus d’évolution génétiques interagissent de façon dynamique et que l’évolution n’est ainsi jamais totalement aboutie. Les principaux processus qui font évoluer la diversité génétique au fil des générations d’arbres sont : le hasard des mécanismes de la reproduction sexuée quand l’effectif de reproducteurs est faible (dérive génétique), la sélection, les flux de pollen et de graines (flux de gènes) au sein des populations et entre populations. Au fil des générations, ces processus évolutifs peuvent diminuer ou augmenter la diversité génétique, ou l’orienter dans une direction particulière et accentuer les différences entre peuplements voisins. L’étude des ressources génétiques transplantées hors de leur zone d’origine a montré que des évolutions génétiques marquées sont possibles en seulement quelques générations d’arbres, voire même dès la première phase de régénération sexuée dans de nouvelles conditions.
Les plantations forestières situées à portée des flux de pollen ou de graines peuvent interférer plus ou moins fortement sur l’un ou l’autre de ces processus évolutifs et ainsi impacter la diversité génétique locale. Savoir si cette interférence peut être significative ou négligeable, positive ou négative, est une question complexe.
Pour évaluer les conséquences possibles d’une telle cohabitation sur la diversité des ressources génétiques locales et leur évolution, plusieurs mécanismes doivent être pris en compte et, selon les conditions, les conséquences de ces mécanismes peuvent être négligeables, négatives ou positives. On peut distinguer trois familles de mécanismes en jeu :
- les mécanismes conduisant à la réalisation effective d’une hybridation, en quantité plus ou moins importante, entre les plantations et les forêts locales ;
- les mécanismes conduisant à un impact quantitatif de cette hybridation sur la diversité génétique globale des forêts locales ;
- les mécanismes conduisant à des conséquences adaptatives et évolutives de cette hybridation sur les peuplements locaux.
1. Effectivité de l’hybridation
L’hybridation naturelle (on ne parle pas ici des croisements contrôlés) est possible entre individus de la même espèce ou, dans certains cas, entre individus d’espèces différentes mais proches, comme entre le Chêne pédonculé et le Chêne sessile ou entre le Sapin pectiné et le Sapin de Céphalonie, formant alors ce qu’on appelle des complexes d’espèces.
La réalisation effective de l’hybridation passe par des mécanismes de dispersion du pollen, de fécondation (compatibilité des croisements), de dispersion des graines et de germination. Dans certains cas, l’hybridation entre espèces ou sous-espèces s’effectue préférentiellement dans un sens plutôt que l’autre. La proportion de graines hybrides dépend aussi du rapport de « masse reproductrice » entre peuplements issus de plantations et peuplements locaux.
Dans une situation de cohabitation, l’occurrence de graines hybrides dans les peuplements locaux résulte principalement de la dispersion du pollen des plantations. Elle peut aussi, plus rarement, résulter de la dispersion du pollen des peuplements locaux vers la plantation, puis de la dispersion en retour de la graine hybride formée vers les peuplements locaux. Des graines hybrides peuvent alors également survenir dans la plantation, mais celles-ci n’auront un impact futur que si la zone plantée passe en régime de régénération naturelle.
La dispersion dite efficace, du point de vue de l’hybridation, dépend :
- non seulement de la distance entre plantations et peuplements locaux
- des conditions de transport du pollen,
- mais aussi de leur décalage phénologique éventuel (à noter que dans le contexte de changement climatique le décalage phénologique est lui-même susceptible de se réduire ou de se renforcer).
2. Impact de l’hybridation sur la diversité génétique
Si les plantations sont génétiquement distinctes des peuplements locaux, par exemple s’il s’agit de provenances ou de variétés forestières génétiquement différenciées de la même espèce, ou s’il s’agit d’une autre espèce ou sous-espèce susceptible de s’hybrider, alors l’hybridation tend généralement à augmenter la diversité génétique dans les peuplements locaux.
Quantitativement, la part de diversité génétique nouvelle apportée par l’hybridation dans la diversité génétique locale dépend à la fois :
- de la proportion de semis hybrides dans la régénération naturelle, sans oublier que seulement la moitié du patrimoine génétique de chaque semis hybride est hérité de la plantation,
- du niveau de différenciation génétique entre plantations et peuplements locaux, sachant que la différenciation génétique entre populations relève plus souvent de différences de fréquences des variants génétiques qu’elles partagent, que de la présence de variants spécifiques à l’une ou l’autre.
Ainsi, 1% de semis hybrides apportera au plus 0.5% de variants nouveaux sur les gènes pour lesquels plantations et peuplements locaux n’ont aucune diversité en commun, et modifiera moins que cela les fréquences des variants partagés.
Pour que l’hybridation puisse conduire à une baisse globale de diversité génétique dans les peuplements locaux, il faudrait que deux conditions soient remplies simultanément :
- que la proportion de semis hybrides soit très dominante dans la régénération,
- que la diversité génétique utilisée en plantation soit beaucoup plus faible que celle des peuplements locaux.
Ces conditions ne seront remplies que dans des situations exceptionnelles de fort déséquilibre de « masse reproductrice » entre plantations et peuplements locaux de faible effectif, sans barrière barrière physique, biologique ou phénologique à la réalisation de l’hybridation.
3. Conséquences adaptatives et évolutives de l’hybridation
Si l’hybridation est suffisamment importante pour modifier significativement la diversité génétique des peuplements locaux, deux cas sont alors à considérer, selon que l’hybridation conduit à
- des individus moins bien adaptés : Si les semis hybrides sont moins bien adaptés aux conditions actuelles que les semis non hybrides, ils auront tendance à être éliminés par la sélection naturelle ou par la sylviculture dans les peuplements locaux. Il n’y a que dans le cas où les semis issus d’hybridation seraient très largement majoritaires que cette sélection contre l’hybridation pourrait conduire à des défauts de régénération.
- au contraire, des individus mieux adaptés aux conditions locales actuelles et à venir : Si l’hybridation conduit à une meilleure adaptation aux conditions locales actuelles, la sélection naturelle va au contraire augmenter la proportion d’individus issus d’hybridation dans les peuplements locaux.
Ainsi, la sélection tend à réguler la part de diversité génétique nouvelle incorporée dans les peuplements locaux selon les performances de survie et reproduction des génotypes issus d’hybridation. Au fil des générations, seule une partie de la diversité génétique nouvelle sera assimilée dans le patrimoine génétique local : c’est le processus d’introgression qui va progressivement conserver les combinaisons favorables des nouveaux variants génétiques apportés par les hybrides et éliminer les combinaisons génétiques défavorables.
La vitesse d’évolution génétique des peuplements locaux par ce processus dépend donc de la vitesse d’augmentation de la fréquence des nouveaux variants de gènes :
- Si l’hybridation est fréquente, si la proportion de semis hybrides est importante et si les formes hybrides ont des performances adaptatives bien meilleures que celles des génotypes non hybrides, alors l’évolution peut être rapide, en une ou quelques générations d’arbres.
- Si au contraire l’hybridation est rare ou si les hybrides sont peu adaptés aux conditions actuelles (même s’ils sont supposés bien adaptés aux conditions futures), les nouvelles combinaisons génétiques apparaîtront en faible fréquence, avec une forte probabilité de disparaître par le simple jeu du hasard avant même que la sélection n’ait le temps de les favoriser, et le processus sera plus long.
Durant ce processus d’introgression, les conditions environnementales ne resteront pas toujours stables et peuvent continuer d’évoluer. Dans ce cas, les nouvelles combinaisons génétiques apportées par les semis hybrides augmentent la diversité génétique, contribuant ainsi à renforcer la capacité de réponse du peuplement à de nouvelles pressions de sélection émergentes.
En résumé
Bien comprendre ces différents mécanismes et tenter de les quantifier en fonction du contexte local permet de raisonner les impacts attendus des plantations sur la diversité génétique de peuplements locaux, à court terme et à long terme. L’hybridation et l’introgression sont des processus potentiels d’évolution génétique des ressources génétiques locales, avec des risques associés (perte de spécificités génétiques locales actuelles, apport de sensibilité à des maladies ou à des conditions climatiques futures) et des bénéfices possibles (restauration de diversité génétique pour faire face aux imprévus, apport de résistance à des maladies ou à des conditions climatiques futures).
Les leviers d’action pour gérer les mécanismes mentionnés ci-dessus sont multiples, tant au niveau :
- du choix des matériels génétiques utilisés pour les plantations (plus ou moins hybridogènes, plus ou moins différenciés génétiquement des peuplements locaux, plus ou moins diversifiés, plus ou moins adaptés aux conditions actuelles),
- qu’au niveau des modalités d’installation des plantations (distance aux peuplements locaux, quantité relative en nombre de reproducteurs par rapport aux peuplements locaux),
- qu’au niveau de la sylviculture des peuplements locaux (gestion directe si les semis hybrides sont facilement identifiables sur le terrain, ou effets indirects de sélection induits par les interventions).